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BLOOM : Une rare victoire pour l’océan menacée par la France et l’Espagne

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Une rare victoire pour l’océan

menacée par la France et l’Espagne

Paris, le 23 février 2023

Les victoires sont rares pour l’océan. Le 5 février dernier, il y en eut une, arrachée au forceps contre le lobbying néfaste de l’UE.

Ce jour-là, la Commission thonière de l’océan Indien a adopté, pour la première fois, l’interdiction 72 jours par an des objets connectés ultra sophistiqués qui sont déployés à grande échelle dans l’océan Indien par les flottes de pêche industrielles françaises et espagnoles pour agréger et capturer les thons tropicaux, jusqu’au dernier.

Ces radeaux flottants, appelés « DCP » pour « dispositifs de concentration de poissons » sont responsables de la capture de très nombreux juvéniles de thon albacore et de thon obèse — deux espèces considérées comme surpêchées — ainsi que de nombreuses espèces fragiles d’animaux marins comme les tortues ou les requins.

Cette mesure existe partout ailleurs dans le monde, spécifiquement pour des raisons de conservation des ressources halieutiques.

Malgré cela, l’Union européenne menace aujourd’hui cette première étape absolument cruciale de reconstruction de la santé de l’océan Indien, soumis à la pression incessante des industriels de plusieurs pays, en premier lieu la France et l’Espagne, qui y ciblent le thon. 

C’est donc pour défendre les intérêts économiques des deux seules nations européennes de pêche thonière — la France et l’Espagne — que la Commission européenne va décider d’ici quelques jours si elle fait objection ou non à cette maigre mais indispensable avancée permettant de protéger les populations de thons surexploitées et les écosystèmes marins impactés par des pêches industrielles non sélectives et non durables. 

La pêche thonière est pratiquée au large des côtes d’Afrique de l’Ouest et dans l’océan Indien par 50 navires français et espagnols de plus de 80 mètres de longueur en moyenne. 

Lire notre communiqué à l’issue de la décision dans l’océan Indien

Une objection de l’UE serait un déni de démocratie

D’après les règles de la Commission thonière de l’océan Indien, l’État faisant objection à une mesure n’a pas à l’appliquer à ses propres flottes. Autrement dit, si l’UE fait objection, l’interdiction des DCP devient inutile étant donné que ces radeaux fatals pour la biodiversité sont principalement utilisés par les navires européens. 

Le fait que la Commission européenne envisage d’utiliser la procédure d’objection montre son mépris pour les processus démocratiques en matière de gestion des pêches. Rappelons que l’interdiction des DCP a été adoptée le dimanche 5 février par 16 des 23 pays présents à la réunion de la CTOI à Mombasa, au Kenya.

« La procédure d’objection de la part de la Commission européenne doit être validée par le Conseil des États membres de l’UE. Si c’est le choix retenu, cela signifierait que l’UE assume une posture néocoloniale et antidémocratique très brutale vis-à-vis des pays du Sud » explique Frédéric Le Manach, directeur scientifique de BLOOM.

 « En plus d’être en totale contradiction avec les objectifs écologiques de l’UE, une telle décision entaillerait en profondeur les relations Nord-Sud. Nous avons du mal à croire que l’UE assume aussi ouvertement ses liens toxiques avec les industriels de la pêche destructeurs de l’environnement. »

120 jours pour s’opposer à la protection de l’environnement

L’Union européenne dispose de 120 jours à compter de l’adoption de la résolution par la Commission thonière de l’océan Indien pour faire objection. Après une déclaration allant dans ce sens par M. Marco Valletta, chef de la délégation européenne, lors de son ultime prise de parole le 5 février dernier à Mombasa, la possibilité d’une objection a été réaffirmée par la Commission européenne en la personne de M. Emmanuel Berck(1)  en réponse à une question posée le 6 février 2023 par l’eurodéputée Caroline Roose(2).

Cette même eurodéputée a cosigné avec quatre autres eurodéputés du groupe Verts/ALE (Rosa d’Amato, Francisco Guerreiro, Grace O’Sullivan, et Marie Toussaint) une lettre d’interpellation(3) qui n’a, quant à elle, pas encore reçu de réponse. 

L’UE doit soutenir l’interdiction définitive de tous les DCP dérivants

Dans une lettre adressée lundi 20 février au Commissaire à l’environnement, aux océans et à la pêche Virginijus Sinkevičius, BLOOM demande formellement à la Commission de renoncer à faire objection, mais également de soutenir dorénavant la seule mesure de bon sens à long terme : l’interdiction totale et définitive des DCP dérivants. C’était aussi la demande formulée par de nombreuses parties prenantes comme l’Inde, qui avait déposé une telle proposition dans le cadre des négociations de la CTOI début février(4), et les pêcheurs artisans de la Réunion et des Seychelles qui la réclament fortement(5).

Rappeler l’UE à son devoir et explorer les liens avec les lobbies

L’un des objectifs fondamentaux de la « Politique commune de la pêche » (PCP) est que les activités de pêche « soient durables à long terme sur le plan environnemental ». Il semble bon de rappeler aux institutions européennes que les objectifs de la PCP s’appliquent aux flottes européennes où qu’elles opèrent dans le monde, et donc a fortiori dans l’océan Indien. En défendant les seuls intérêts d’industriels aux pratiques destructrices pour l’environnement, la Commission semble perdre de vue sa mission de défense de l’intérêt général.

C’est pour tirer au clair la fréquence et la nature des liens entre les institutions et les lobbies que BLOOM vient de faire une requête de communication de tous les échanges qui ont pu avoir lieu entre les individus de la Commission européenne, à tous les niveaux de fonction, impliqués dans la CTOI, les accords de pêche, et la gestion des pêches thonières tropicales en général, avec les lobbies Orthongel, Cepesca, Opagac, Anabac, Europêche, et UAPF, ainsi qu’avec tous les membres composant ces structures (e.g. CFTO, Sapmer, Albacora, Echebastar, etc.)(6). 

Les citoyens ont le droit de savoir ce qui préside aux positions néfastes de leurs institutions pour l’avenir de l’océan, de la vie marine et du climat. 

POUR ALLER PLUS LOIN

Le thon est le poisson le plus consommé en France, avec près de 4 kg/habitant/an(7).

Il ne s’agit pas là de thon rouge (Thunnus thynnus),espèce emblématique de la Méditerranée, mais d’espèces tropicales : principalement la bonite (Katsuwonus pelamis) et le thon albacore (Thunnus albacares), mais aussi le thon obèse (Thunnus obesus), qui est capturé dans des proportions moindres par les mêmes navires.

La pêche thonière tropicale européenne se déroule majoritairement dans l’océan Indien, dans une moindre mesure dans l’océan Atlantique, et marginalement dans l’océan Pacifique. Les navires impliqués sont exclusivement français et espagnols et mesurent plus de 80m de longueur moyenne, et jusqu’à 116m. En France, trois entreprises sont regroupées au sein du syndicat Orthongel et possèdent 23 navires. En Espagne, le paysage est plus morcelé, avec deux syndicats — OPAGAC et ANABAC — regroupant une quinzaine d’entreprises de pêche possédant 27 navires. À ces navires, s’ajoutent a minima(8) 48 navires qui sont pavillonnés en dehors de l’UE mais qui sont sous capitaux très majoritairement espagnols (seuls trois sont sous capitaux français).

La méthode de pêche de ces navires s’appelle la « senne coulissante » : un filet vertical de près de 2km de long et 300m de haut est déployé autour du banc de thons à l’aide d’un petit navire d’assistance. La senne est ensuite fermée par le bas à l’aide d’un système coulissant, ce qui permet de capturer l’intégralité du banc.

La quasi-intégralité des captures réalisées par les senneurs européens se fait désormais à l’aide de « Dispositifs de concentration de poissons » (DCP) dérivants, qui génèrent des quantités astronomiques de thons juvéniles, mais aussi d’espèces non-ciblées, telles que tortues marines, requins, raies, etc. Ce problème est particulièrement important dans l’océan Indien, où trois chiffres y résument l’ampleur du problème des DCP dérivants : 

  • Les entreprises thonières de l’UE ont réalisé 96% de leurs captures sous DCP en 2018 dans l’océan Indien (où elles sont l’un des acteurs majeurs de la pêche industrielle et l’utilisateur quasi exclusif des DCP dérivants)(9) ;  
  • 97% des albacores (une espèce surpêchée) capturés par les senneurs européens dans l’océan Indien entre 2015 et 2019 étaient des juvéniles(10) ; 
  • 77% de tous les juvéniles de thon obèse (une autre espèce surpêchée) capturés dans l’océan Indien proviennent de la pêche à la senne(11). 

Les senneurs français et espagnols étant des acteurs majeurs de la pêche thonière industrielle dans l’océan Indien et leurs captures étant essentiellement composées de juvéniles, ils jouent donc un rôle majeur dans la dégradation des écosystèmes marins et la surpêche de deux des trois espèces ciblées, les thons albacore et obèse

Un cas de transfuge très problématique

Avec l’association Anticor, nous dévoilions le 14 novembre 2022 le cas de transfuge d’un officier de carrière du corps des administrateurs des Affaires maritimes — Mme Anne-France Mattlet — en poste dans l’administration française, vers les puissants lobbies thoniers, sans respecter le délai de trois ans prévu par la loi. Nous avons signalé ce cas de transfuge au Procureur de la République du Parquet national financier. 

Lire le dossier d’enquête : Le Far-West de la pêche thonière en Afrique

Des délégations européennes aux mains des lobbies

L’influence toxique des lobbies ne se limite pas à la France ou à Bruxelles. À la suite de nos premières révélations sur le cas Mattlet, nous avons tiré le fil et poursuivi notre plongée dans le monde opaque de la pêche au thon. Le 11 janvier 2023, nous révélions les résultats choquants d’une nouvelle étude sur le poids des lobbyistes au sein des délégations officielles durant vingt années de négociations sur le thon tropical en Afrique, entre 2002 et 2022.

Lire le dossier d’enquête : Les lobbies thoniers font la loi

NOTES

(1) Chef d’unité adjoint à la Direction générale des affaires maritimes et de la pêche (DG MARE).

(2) Question posée en Commission de la pêche du Parlement européen (https://twitter.com/CarolineRooseEU/status/1626577590629826572?s=20)

(3)https://assets.nationbuilder.com/marietoussaint/pages/324/attachments/original/1676983591/230220_Lettre_%C3%A0_V.Sinkevi%C4%8Dius_sur_les_FADs_FR.pdf?1676983591

(4) https://iotc.org/sites/default/files/documents/2023/02/IOTC-2023-SS6-PropB_Rev1E_Prohibition_of_DFADs_IND.pdf

(5) https://lemarin.ouest-france.fr/secteurs-activites/peche/dcp-dans-locean-indien-les-artisans-denoncent-une-mascarade-46377

(6) https://www.asktheeu.org/en/request/information_regarding_eu_tropica

(7) Source : FranceAgriMer.

(8) Il est parfois difficile de tracer quelle entreprise possède quel navire, donc il est possible que ce chiffre soit sous-évalué.

(9) Source : données CTOI.

(10) https://www.globaltunaalliance.com/wp-content/uploads/2022/03/Naunet-Fisheries.2021.V3-new.pdf

(11) Source : données CTOI.

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